vendredi 5 octobre 2007

Relances : Depardon

Raymon Depardon, Errance. 2000.

L'étonnement que ces choses si fines aient une telle visibilité culturelle. Comment est-ce possiblement audible ? A la fnac des Halles hier je n'ai vu que lui, alors que j'y allais pour Horvat. Par quel, nécessairement, filigrane de malentendu ?

Je n'aime pas la photo de Depardon. J'aime quelque chose du personnage, qui a à voir avec la sensation d'une lenteur. A contretemps culturel, et comme tel une ressource, petite et grande, fragile et puissante. Peut-être d'abord parce que photographie va avec cinéma pour lui. Son noir et blanc m'ennuie, je passe, inattentive. C'est pourquoi cette lecture est délibérée, et je m'approche, délibérément. Cherchant un premier fil pour entrer.
Puis "errance" m'ennuie un peu : c'est une question sur laquelle je ne veux pas lire de sottises. Piège ordinaire.

La surprise est l'écriture. Ici aussi : comment cette écriture en frayage intime, rentré, qui exige une oreille très libre et légère, est-elle culturellement audible ? Par quelle histoire ? Il y a simplement une histoire, naturellement.
J'aime la liberté que donne cette écriture. Libérer la place pour parler de la photographie, et du sujet photographe, en journal ou "report" (dit Horvat pour son 1999 en sa première version anglophone), récit de voyage, simplement pan de parole au retour (puisque la question du genre est doucement balayée, diffusée jusqu'à devenir inutile).
Puis des désintérêts et des irritations, mais graduellement quand la voix est devenue stabilisée, ou l'oreille (c'est-à-dire simplement une lecture) : de ces merveilles. p. 50 : "photographier des temps faibles". p. 56 - "l'errance m'a permis de photographier des temps faibles" : "et j'ai fait un journal au quotidien" (comme débouché, et devenir photographe, après l'échec d'un mode reportage pour la Correspondance new-yorkaise, de 1981). Des choses qui insistent doucement, et prennent comme chez Beckett, toujours mon modèle pour ça, une valeur, où on peut s'engouffrer pour une aventure, anti-spectaculaire. Le problème de la distance, me marque. Le choix de "contraintes" photographiques, curieusement a priori mais agissantes, on découvre leur agence, comme chemin. Le "chemin", aussi, "rail", "couloir", "le côté route ou le côté rail, le côté couloir" écrit-il (36) : le format vertical, "la prise de vue en hauteur" comme un au-devant et une nécessité de mode de vie, au-devant photographique et éthique, en cohérence avec le caractère de cette activité, cette vie, de l'errance. Je croyais que l'errance s'annonçait comme un thème. Snore... Ce n'est pas ça.
Ecrire nécessaire par sa cohérence avec le photographique, sur la fragilité : p. 76 : "Je me suis remis en question comme photographe, chose qui est la plus fragile pour moi. Et si je donne ces mots qui accompagnent les images, c'est simplement que la parole est aussi quelque chose d'assez fragile chez moi."
"Je passe par une nécessité à écrire, je mets des mots simples, comme je fais des photos simples, comme je fais des cadrages assez classiques. Je mets les choses au milieu, plus c'est net mieux ça vaut. J'ai ma distance, je mets les choses en ordre, dans un certain sens. On peut regarder les photos que j'ai faites, les bonnes ou les mauvaises, ça prend du temps, à les regarder, à les apprécier, à voir leur valeur, leurs qualités ou leurs défauts. On peut faire la même chose avec le texte." 58.
Sur le vide dans les images, "elles sont relativement vides, c'est-à-dire libres"... "elles nous font écouter les mots", par leur pouvoir déictique même : à rebours de Sontag, si elles peuvent illustrer des choses diverses nombreuses, "la banque mondiale, l'écologie, plein de choses", c'est photographique. "ça veut dire qu'elles disent quand même quelque chose. Elles donnent à écouter. Comme elles sont en retrait, les mots qui viendraient à côté dégagent l'écoute. Elles nous font écouter les mots."

"Je photographie des nuages, le sol. On voit bien les choses, on voit très très bien." 64. Le niveau de l'horizon à mi-hauteur, et la situation très claire du point de regard. Il s'agit que les photos montrent où le photographe se situe; où le regard se situe. Et l'errance : "qu'est-ce que je fous là." Il appelle ça, et c'est ce qui est difficile à comprendre, comme autre chose qu'un thème : la recherche du "lieu acceptable". Selon une définition qui prend sa première situation dans le discours de la psychiatrie, son savoir sur l'errance et les errants. La distance, on dit qu'il photographie avec distance : "je me suis aperçu que c'était la bonne, parce qu'on pouvait voir mon rapport aux lieux, aux gens, aux choses." 60.
La distance, et "on me reproche la banalité, cette obsession de ne pas montrer le pittoresque". 60.
"On s'aperçoit d'ailleurs que les images les plus intéressantes ne sont pas celles qui s'approchent de la bonne photographie, mais ce sont plutôt des choses qu'on n'a pas l'habitude voir en photos. Des coins de route, des choses comme ça [...] J'ai photographié des choses qui d'ordinaire ne sont pas à photographier, qui ne sont pas interdites mais qui, a priori, ne présentent pas d'intérêt. Des lieux où l'on peut imaginer qu'un jour on s'est trouvé à attendre un autobus, à attendre quelqu'un, parce qu'on était en panne, que l'on a marché et qu'on s'est assis sur un ban, ou en roulant avec une voiture, cette espèce d'observation silencieuse." 36.

Pouvoir dire : "Voilà, je suis un photographe sec, je ne suis pas un photographe humide". 72.

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