lundi 10 septembre 2007

relances

Pierre et Gilles : Double je, exposition rétrospective au Jeu de Paume cet été.
En effet, la photographie et la peinture - leur histoire mêlée, leur friction douloureuse et fructueuse, depuis le début. L'oeuvre est puissante, de ça en particulier. La rétrospective donne bien à voir le substantiel du travail - qui est tout autre chose qu'un rapport à l'image, l'icône, la culture populaire de l'image, l'iconographie gay, publicité, affiches, monnaie courante de quelques décennies d'une "culture de l'image", qui dévalue le grand Sens langagier de l'art encore plus loin que ce que repère Sontag au moment du Pop Art, etc. Ces éléments sont dans le vocabulaire visuel, d'accord. Mais autre chose : un travail photographique, qui s'infiltre en latéral dans l'épaisseur du médium - tiens, je veux bien du mot ici : milieu, du travail artistique ; ce qui est fouillé, distingué, aperçu (c'est un milieu qu'ils se fabriquent, qu'ils agrègent polarisent autour d'eux) : l'histoire de la retouche photographique, l'airbrush relayé plus récemment par le numérique ; la rivalité peinture-photographie qui fait l'entrée dans la Modernité (Baudelaire du Peintre de la vie moderne et du Public moderne et la photographie). S'il n'y avait que ça ce serait déjà une ouverture pour des coudées franches étonnantes. Pour récupérer le temps de l'aventure dans l'art, en laissant la question de les arts faire la modernité qu'elle a à faire : en levant ses crans d'arrêt. C'est pourquoi aussi la question du couple-double, "double je", où l'homosexualité est toute indissociable de la question de l'intersujet et de l'inter-médiums, entre dans ce problème, et contribue à ouvrir ce terrain large, aéré, à l'ironie légère, au tragique mobile, où ça travaille. Rien de l'image, là. Ou sa mise en mouvement. Alors oui la photographie et le public moderne, pour prendre la proposition de Baudelaire dans l'autre sens.

Les Messagers d'Annette, à Beaubourg.
Ce que font les gens. L'art me remet toujours, s'il me touche, dans cette disposition : de me réjouir de ce que font les gens - comme de l'étranger, de l'histoire, . Les comment qu'ils inventent. Me déplacer dans un comme. Beckett : Comment c'est. Annette a un "comment" très fort, et dégagé, et dégageant. ça dégage. Avec la force dérivative spéciale de l'humour. Ici aussi, on dé-joue un tragique.
Puis l'étonnement artistique : que ce comment ait valeur publique. Qu'on désire le faire exister comme art : l'artiste le jugeant emblématique ; à exposer. Les collectionneurs galeristes critiques commissaires le jugeant important, fertile : à exposer. A priser. (Il y a la grande installation Casino, théâtre soyeux, cramoisi, qui ventile un corps facile à repérer comme spectacle et expérience. Facile à primer à Venise. Mais ). Les bouts de l' "Annette Messager collectionneuse", avec ses "pensionnaires" et groupes grappes petits peuples affairement : par quel circuit !? ça arrive jusqu'à mon régal ? Comment c'est possible ?
(C'est, bien sûr, possible par exemple en passant par Prinzhorn - Arte s'y intéresse ces jours-ci, Un art insensé. La texture de la douleur, Christian Beetz 2006).
Comme Beckett : elle poursuit son . C'est cette évidence. Qui force l'attention, et par cette attention on .

Weegee, au Musée Maillol. C'est une collection, Berinson, de vintage prints.
Relance étonnante, de voir. Des classiques, et des photos que je ne connaissais pas. Et l'apport d'un regard par le travail des commissaires - cartels, même au détour d'éventuelles absurdités (rien à voir), séries (par exemple celle qui rassemble autour du sommeil, motif photographique ; motif du photoreporter), mises en relation : les résonances que le Pop Art y fait retourner, en particulier. Warhol et le prototype de la voiture accidentée pour l'une (?) de ses sérigraphies ; divers motifs vus à New York par Weegee, donnés à voir par lui - les enseignes en forme de révolver, les néons, les lumières de la nuit dans les rues ; les mots de la rue en commentaire surréaliste sur les scènes, qui les retourne en images ; les icônes qui seront sérigraphiées par le cinéma de film noir et les romans de gangsters, les "bas-fonds" donnés à voir (je prends le terme à Beauvoir, L'Amérique au jour le jour 1947 - fasciné par la Bowery, et Sammy's, et les visites de Chicago avec N. A.)... Un nexus culturel qui fait rayonner beaucoup d'éléments - où se jouent par exemple des modernités comme celle du rapport entre art et culture, avec le problème du populaire dans ses nouvelles configurations. Aussi, et autrement mais pas séparément, l'un des points de mire du Pop Art. La photo entre art et la circulation culturelle du journalisme, entre reportage et "sensation" ("le choc des photos", Life Magazine, etc.) et entre l'officiel dominant et le travail de la marge ; la modernité artistique du surréalisme (la photo et les objets trouvés, la photo comme culture, infra-artistique - voir comment Sontag en est dérangée) ; la modernité politique du Federal Art Project de la Dépression ; le déport géographique de la modernité artistique, de Paris à New York (Beauvoir en 1947 marque le déport "intellectuel" ; il lui est contemporain), qui passe photographiquement par Atget par Berenice Abbott par exemple.
Puis il y a le mobile, le photographique : ce qui fait force dans son effet culturel. Couper remplir (éventuellement, le flash en lumière du jour, qui dramatise mais aussi salit la lumière, fait un New York crade : de Weegee), les angles de prise aussi : oui du dramatique, mais ce n'est pas tout, et pas le plus photographiquement créatif. Le crade social (qui n'est pas la même chose que celui sociologique, bien qu'ils soient soudés), le peuple, le corps en sommeil ou mort ou sanglant ou ébranlé dans son regard. Des clichés décomposés : ce n'est pas à mettre seulement au compte de l'occasion journalistique. Une dégradation de l'image, qui libère des à-voir à-vivre : défait un théâtre culturel en place, montre la rue (c'est un terrain du moderne, public moderne : celui du flâneur a passé, puis celui des trouvailles surréalistes - ici c'est autre chose, nouveau. D'abord c'est la nuit).
Je ne peux pas plus loin, pour le moment.

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